Le perroquet EAM et le trouble de l'imprégnation

par Johanne Vaillancourt

Le nourrissage a la main crée l'imprégnation a l'humain chez l'oisillon.

Le trouble de l'imprégnation ou encore dyssocialisation primaire, quoi qu'on en dise, demeure le lot de tous les perroquets élevés à la main (les gentils comme les moins gentils).

L'élevage à la main crée une imprégnation aberrante à l'humain chez les perroquets qui y sont soumis et ce, de façon systématisée.

"Lorsqu'un animal élevé à la main reçoit l'empreinte de son soigneur, on parle d'empreinte à l'homme."
-*K. Immelmann .

99% des perroquets démontrant divers problèmes du comportement que je vois en consultation sont EAM (élevés à la main) et conséquemment, ont subi une imprégnation à l'humain. Alors, qu'on me foute la paix avec ces histoires selon lesquelles les perroquets EAM seraient moins problématiques, apprivoisés, plus facile à "éduquer" et très gentils...

À 99% on ne rigole plus… Pas si gentils ni si facile que ça à éduquer ces EAM!

Le nourrissage a la seringue crée une imprégnation aberrante.

Déjà si on cessait de confondre imprégnation et apprivoisement!

On entend par "apprivoisement" un processus au cours duquel les tendances à la fuite et les réactions négatives qu'un animal (…) manifeste en présence de l'homme diminuent progressivement jusqu'à disparaître. Il s'ensuit un état de docilité, qui résulte de la neutralisation des tendances à la fuite (…). L'apprivoisement rappelle ainsi vaguement un processus de socialisation, qui toutefois a pour cible un objet biologique aberrant. Une confusion s'installe parfois dans les publications entre apprivoisement et empreinte, c'est-à-dire que ces deux termes sont utilisés indifféremment ou du moins sans soucis de distinction nette. Bien que des fixations aussi stables que celles qui découlent de l'empreinte puissent certainement participer à l'apprivoisement, notamment s'ils débutent à un stade très précoce, il n'en existe pas moins une différence fondamentale. En cas d'empreinte sur l'homme (empreinte aberrante), l'animal adresse des conduites sexuelles et/ou agressives à l'objet de l'empreinte. En revanche, l'apprivoisement se caractérise simplement par l'absence de réactions négatives (ex. fuite) et quelquefois par la présence de réactions positives "neutres" (l'animal se tient à proximité, s'approche pour se nourrir, etc.).
- * K. Immelmann.

Alors, pas un peu saoulé de vous faire agresser par vos oiseaux de compagnie?

Pourquoi je vous reviens encore avec ça? C'est qu'il y a quelques jours, lors d'une consultation, j'ai (encore et pour la centécenténième fois) assisté au désespoir d'une gentille Madame qui ne savait plus comment réagir face aux agressions répétées de son gris d'Afrique pubère; agressions dirigées autant vers elle que sur les membres de sa famille… Triste, mais pas étonnant.

Comprenez-moi bien: cet oiseau n'est pas méchant, agressif ou même juste malcommode, c'est simplement un perroquet imprégné à l'humain et totalement dyssocialisé (défaut d'acquisition des conduites sociales propres à l'espèce qui devraient se développer normalement en très bas âge auprès de ses parents naturels - Socialisation). Cet oiseau, comme tous les EAM, a été séparé beaucoup trop tôt de ses parents, et ses systèmes inhibiteurs des comportements ne se sont tout simplement pas activés.

Les bébéquets ne doivent pas etre enlevés a leurs parents perroquets et élevés en couveuse.

Qu'est-ce que le perroquet imprégné n'a pas appris?

Cet oiseau n'a pas appris à se comporter socialement et l'ensemble de ses réactions relève du domaine émotionnel. Il n'a pas du tout acquis les autocontrôles nécessaires à sa vie en société, apprentissage que seuls les parents perroquets peuvent inculquer à leur progéniture et qui s'étend sur une période qui dépasse largement le cadre du 4 à 6 semaines (selon l'espèce). Cet oiseau, comme la plupart de ses congénères élevés à la main, n'a acquis aucune inhibition sociale; ses morsures sont incontrôlées, douloureuses et trop souvent sanglantes.

De plus, cette séparation en très bas âge engendre une dépression de détachement précoce qui générera beaucoup d'anxiété chez le perroquet, condition qui risque bien évidemment de le rendre passablement instable et dangereux pour son entourage. Pour en rajouter une couche, l'oiseau imprégné à l'homme n'a pas du tout cette distance de fuite (crainte naturelle) qui devrait se manifester (normalement) en présence d'une autre espèce, puisque l'espèce nourricière est l'humain (imprégnation).

Une peluche ne suffit pas a combler les besoins du bébé perroquet.

Le jeune oiseau ainsi précocement séparé de ses parents et souvent de sa fratrie, placé seul en incubateur ou dans une petite cage, manipulé seulement lors des béquées, subit un isolement social dévastateur, et ce, au beau milieu de sa phase sensible. On parle alors de syndrome d'isolement.

Ainsi isolé en cage ou en incubateur pendant les premières semaines/mois de sa petite vie, privé des stimuli nécessaires à son développement (comportements social et exploratoire), le jeune risque de nous développer une autre broutille du nom de syndrome de privation sensorielle. Funny non?

De cette privation émergera une hyper-vigilance chez l'oiseau qui réagira de façon disproportionnée à des stimuli, même ceux qui vous sembleront extrêmement faibles (visuels, auditifs ou tactiles). De plus, cette absence totale de socialisation sera marquée par une grande intolérance aux restrictions, et toute opposition ou contrariété risque de générer une agression. Et comme l'humain n'est pas fait de bois, il réagira (souvent mal) à ces agressions incompréhensibles pour lui, ce qui fera qu'au bout du compte, le comportement d'agression d'instrumentalisera très rapidement chez l'oiseau et deviendra en plus… je vous le donne en mille... un mode de communication redoutablement efficace. Chouette ça, qu'en dites-vous?

Socialisation: On entend par socialisation, l'apparition au cours de la croissance de l'individu, d'une dimension sociale dans ses interactions avec ses congénères. Elle conditionne la sociabilité ultérieure de l'animal (...).
Chez quantité d'espèces, certaines facultés sociales ne peuvent s'acquérir que par des contacts sociaux spécifiques au cours de tranches de la vie appelées "phases de socialisation". En raison de leur caractère précoce et de leur brièveté, elles rappellent les phases sensibles des phénomènes d'empreinte. Si la phase de socialisation est manquée, par exemple par la privation d'expérience, l'animal sera souvent incapable par la suite de relations sociales normales. Les phases de socialisation manquées sont donc à l'origine de nombreuses perturbations comportementales résumées sous l'intitulé "syndrome d'isolement".- * K.Immelmann.

Ainsi,

Pas de distance de fuite + absence d'inhibitions sociales + seuil émotif bas
=
Bombe à retardement

Et arrive la puberté

Puis, comme pour ma cliente (et des centaines d'autres), arrivera le jour où l'oiseau commencera à proposer des appariements envers l'humain (bien évidemment, il est imprégné); arrivera le jour où les comportements franchement sexuels émergeront et, inévitablement, d'autres motifs d'agression s'ajouteront aux nombreux irritants déjà en place. L'oiseau dyssocialisé ne tolère aucun rival (absence de socialisation, absence d'inhibitions sociales, comportements régis par les émotions… Outch!).

Le perroquet EAM n'acquiert pas une socialisation adéquate dont il aurait du bénéficier 
				auprès de ses parents perroquets.

La puberté n'est pas un problème de comportement, c'est un stade normal de l'ontogenèse (maturation des comportements). Alors pourquoi ce passage nous pose-t-il autant de problèmes? C'est simplement qu'à cette période précise, le perroquet commence à interagir de façon autonome avec sa colonie (votre famille), qu'il n'est plus aussi conciliant que lorsqu'il était tout petit (et c'est bien normal, Coco ne demeurera pas bébé toute sa vie); ses comportements se modifient et ça se manifeste (entre autres) par l'expression de ce qui lui plaît et surtout, de ce qui lui déplaît (il en est au fait maintenant) et il l'exprime tout simplement… comme il le peut, comme un perroquet avec une socialisation déficiente. Il n'est pas méchant et s'il agit mal à vos yeux, dites-vous bien qu'il ne peut pas vous offrir ce qu'il n'a pas reçu! Il faudra alors tout mettre en œuvre pour obtenir sa collaboration (pas impossible, mais il faut travailler avec beaucoup de discernement).

Pourquoi j'en parle encore aujourd'hui (et que vous n'avez pas fini de m'entendre sur le sujet)? C'est parce que la situation me fait mal au cœur. J'ai mal pour mes clients qui sont complètement dépassés par les comportements de leurs oiseaux et j'ai mal pour ces volatiles qui sont incapables de manifester un comportement social normal, au point d'en subir le rejet de leur famille humaine, au point de se retrouver sur les petites annonces, passant ainsi d'une famille à une autre, ce qui amplifie chaque fois ses problèmes auxquels viendront dorénavant se greffer la méfiance envers l'humain et le refus d'attachement.

Les éleveurs de perroquets causent du tort aux oiseaux qu'ils vendent EAM.

C'est ce qui est arrivé à Rocco (nom fictif pour préserver la réputation des innocents), 4 ans, 5 familles différentes.

Zut à l'éleveur qui a su créer pour Rocco le plus cruel des enfers qui soit.

Heureusement pour lui, la nouvelle compagne humaine de Rocco a vraiment décidé de tout mettre en œuvre pour venir en aide à cet oiseau (c'est une dame qui connaît le sens des mots compassion et dévouement). Moi de mon côté, je n'abandonnerai pas Rocco. Avec le temps, une patience infinie et beaucoup de travail, nous arriverons à redonner à Rocco sa dignité de perroquet, et ce, malgré son trouble de l'imprégnation. Nous lui offrirons des interactions sociales qui seront adaptées à sa condition d'EAM.

 

• * Klaus Immelmann, (1935-1987), éthologiste allemand, faculté de biologie de l'université de Bielefeld en Allemagne, dont une grande partie des innombrables recherches porta sur le comportement des oiseaux, en particulier l'ontogenèse.

P-S
Ne faites pas l'erreur de croire que le trouble de l'imprégnation de votre perroquet vous déresponsabilise face à sa seconde socialisation, c'est-à-dire avec vous. Vous aurez votre bout de chemin à faire… on n'y coupe pas, mais je me garde ça pour d'autres éventuels textes ou bouquins. Des solutions il y en a...

Jamais une seconde socialisation ne sera parfaite, par contre elle peut devenir fort acceptable et vivable autant pour l'humain que pour l'oiseau. Là ou il y a de la bonne volonté, il y a de l'espoir.

 

Extrait du blogue de Johanne publié le 21 août 2011
© Johanne Vaillancourt 2011

 

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Qu'est ce qu'un EAM?

Photos
Callopsitte (nymphicus hollandicus), Diane Vachon
Cacatoès blanc (cacatua alba), CAJV
EAM, Natacha Larivière
Molly, ara hyacinthe (anodorhynchus hyacinthinus), CAJV
Sylvain-Luc Richard