L’affectivité et le perroquet
par Johanne Vaillancourt
Vivre avec un animal sexué
Un animal sexué est un animal avec toutes ses options. Nous, humains, avons perdu l’habitude de vivre avec un animal domestique "entier". Nos chiens et nos chats de compagnie sont, pour la plupart, des animaux stérilisés, c’est-à-dire qui ont subi une ovario-hystérectomie (ablation des ovaires et de l’utérus) chez les femelles ou une castration (ablation des testicules) chez les mâles, ce qui a pour effet d’inhiber tout comportement sexuel.
Ce genre de chirurgie n’est pas de routine ni souhaitable chez nos perroquets parce que trop risqué pour les oiseaux (on pratique parfois la stérilisation dans les cas de pondeuses chroniques et encore, seulement si la femelle met réellement sa vie en danger en exprimant un besoin morbide de pondre).
Donc, notre perroquet nous arrive avec un instinct sexuel intact et fonctionnel et c’est à nous, humains, d’apprendre à composer avec cette condition.
Naturellement, si on parle d’instinct sexuel, on parle aussi de comportements sexuels (quête du compagnon, pariades, vocalisations, régurgitations, allotoilettage, aménagement de nid), de changements hormonaux autant physiques (gonflement des testicules et production de testostérone chez le mâle, enflure des ovaires chez la femelle, saillie du cloaque) que psychologiques (sensibilité et sensualité à fleur de peau, possessivité, pot-de-collite aiguë, territorialité, etc.). Rien d’affolant ou de terrifiant, mais il vaut mieux être avisé!
Faire ses choix
Le perroquet fait partie des rares animaux évolués à choisir leur partenaire "amoureux" et à lui demeurer fidèle sa vie durant. C’est ce qu’on appelle "l’association préférentielle". Ce genre d’association avec un partenaire implique la liberté de choisir qui l’on veut, selon les critères qui nous définissent personnellement. Évidemment, dans son milieu naturel, le perroquet fait généralement ce choix à l’intérieur de sa propre espèce et s’arrête généralement à un compagnon du sexe opposé, puisque la reproduction et la survie de l’espèce sont au centre des préoccupations de n’importe quelle espèce animale.
Dans un contexte "domestique" (sans prédateurs ni groupe social de la même espèce), les besoins sexuels demeurent les mêmes; c’est la finalité qui est différente. En effet, le perroquet "domestique" choisit son partenaire, lui est fidèle, a des attentes et responsabilités envers lui, mais assurer sa descendance ou la survie de l’espèce n’entre pas toujours en ligne de compte quand vient le temps de choisir le compagnon idéal. Le perroquet étant un animal évolué, qui a la possibilité de faire ses choix, choisira tout simplement ce qui lui semble le plus attirant et qui lui procurera le plus de satisfaction et de sécurité affective. Donc, son choix "amoureux" peut se porter sur n’importe quel être partageant son territoire et avec lequel il aura les mêmes comportements affectifs et sexuels que s’il était couplé avec un perroquet de son espèce et de sexe différent. Disons que l’incapacité à se reproduire ne fait pas du tout obstacle aux "sentiments amoureux" ou à l’affectivité chez le perroquet domestique.
Est-ce que Coco a absolument besoin d’un "amoureux"?
Absolument, le perroquet a besoin de partager sa vie avec un compagnon stable et constant. Cet état relève de l’instinct sexuel de l’espèce (qui est, comme nous le savons, inaltérable). La plupart des espèces de perroquets évoluent en tandem au sein de leur communauté (sauf exception d’espèce). Le perroquet a besoin de la sécurité et de la stabilité que la vie en couple procure. Ceci étant dit, le fait qu'il ait besoin d’un compagnon de vie ne veut absolument pas dire qu’il a besoin d’être inséré dans un programme de reproduction et qu’il veuille absolument fonder une famille… Entre l’affection, le sexe et la responsabilité familiale, il y a tout de même une marge!
Le perroquet né en captivité a bien sûr, à certains moments de l’année, des poussées hormonales qui occupent presque entièrement son esprit et qui le font aussi réagir physiquement et psychologiquement au moindre stimulus d’ordre sexuel. Disons qu’il est mûr pour une bonne partie de plumes en l’air. Pendant ces périodes "particulières", le perroquet se tournera ipso facto vers son compagnon de vie, celui qu’il a choisi, pour donner libre cours à ses envies. Maintenant, reste à savoir qui remplit le rôle de l’amant(e) ? Un perroquet de la même espèce et de sexe différent? Un perroquet d’une autre espèce et de sexe opposé? Un perroquet de la même espèce et du même sexe, un perroquet d’une autre espèce et de même sexe, vous, Roger, Francine, la voisine, votre fils, le chien ou le chat de la maison? Les possibilités sont infinies, mais ce n’est que dans la première proposition (quelquefois dans la deuxième aussi) qu’une fécondation est réalisable. Donc, dans un contexte domestique, en période hormonale, le perroquet recherche les rapprochements sexuels avec son "amoureux" avant tout pour l’affection et le sentiment de sécurité que cette relation procure. Si cette relation aboutit à la conception d’une famille, le perroquet sera satisfait et prendra ses responsabilités parentales très au sérieux. Par contre, si la relation se situe à un niveau où la procréation est impossible, le perroquet sera tout de même contenté parce que cette dernière lui aura quand même procuré la satisfaction affective recherchée avec l’être aimé.
Dans un contexte de captivité, l’attachement et la sécurité sont les moteurs de la relation avec un compagnon… l’affection vouée à son humain chouchou n’a pas pour finalité la reproduction mais bien le sentiment d’appartenance et de rassérènement. L’ouverture d’esprit et la disponibilité du partenaire (humain) ne font que resserrer les liens qui l’unissent à l’oiseau. Il faut garder en tête qu’instinctivement, le perroquet a besoin de développer ce genre de relation de proximité très intime avec un partenaire. Si vous avez beaucoup de temps à passer en compagnie de votre perroquet, vous pouvez très bien remplir ce rôle sans aucun désagrément pour Coco; par contre, si vous êtes d’un naturel mondain et avez un agenda surchargé et si le temps alloué à Coco vous est très limité, mieux vaut envisager lui procurer un compagnon perroquet (en tenant compte du type de groupe auquel appartient son espèce tout en respectant la taille de votre moujingue…la perruche ondulée n’est peut-être pas le compagnon souhaitable pour votre amazone), tout en gardant en tête qu’il est question ici de compagnonnage. Les deux oiseaux peuvent développer une relation "amicale" sans nécessairement qu’un lien affectif se tisse entre eux. De plus, il ne faut pas oublier que, dans le pire des scénarios, il est possible qu’aucune amitié ni statu quo ne se développe et ne soit possible entre les deux oiseaux.
Le lien affectif
Le perroquet est un animal très sociable qui créera plusieurs liens avec différentes personnes, autres perroquets ou animaux tout au cours de sa vie. Ces liens seront de divers degrés, tout comme nous humains forgeons différents liens et amitiés tout au cours de notre vie. Ces liens vont de la simple connaissance, de l’amitié jusqu’à un très grand attachement. Par contre, le perroquet ne formera qu’un seul lien affectif très fort avec un unique "amant de cœur", et ce, jusqu’au décès ou la séparation non volontaire de l’un ou l’autre des partenaires. Il lui fera preuve d’un dévouement sans limites jusqu’à développer une relation totalement fusionnelle avec celui-ci.
Le lien affectif que le perroquet de compagnie crée avec son humain n’est pas qu’un lien de substitution qui remplace le lien naturel qu’il aurait dû avoir dans la nature avec un compagnon de son espèce, c’est un réel lien d’affectivité émotive qui se forme entre l’oiseau et celui ou celle qu’il a choisi. D’aucuns diront que, souvent, le perroquet n’a pas beaucoup de choix dans un contexte de captivité où il n’a comme simple option qu’un unique compagnon humain disponible. C’est vrai, mais il pourrait aussi choisir de ne pas accepter cet humain comme compagnon. Là est toute la nuance…
Par contre, si ce compagnon se présente aux yeux de l’oiseau comme tout à fait aimable, qu’il a envers lui des attitudes qui ne sont réservées habituellement qu’à l’intimité (caresses sur tout le corps et le bec, toilettage des plumes et surtout, présence quasi continuelle), il y a de fortes chances que le perroquet choisisse d’emblée ce compagnon humain comme son… "époux(se)"!
Je partage ma vie depuis de longues années avec beaucoup de perroquets, plusieurs de la même espèce et de sexe opposé, ce qui n’a pas empêché certains d’entre eux d’avoir choisi de créer leur lien affectif avec moi ou avec mon mari ou encore avec d’autres perroquets d’espèces différentes.
Il faut comprendre ici que dans un contexte "domestique", le perroquet a un éventail très hétéroclite de prospects potentiels mis à sa disposition en ce qui concerne le choix du compagnon. Il n’évolue plus qu’à l’intérieur d’un groupe social composé exclusivement d’individus de son espèce, mais plutôt, de façon artificielle, dans une communauté multispécifique qu'il serait inconcevable d'imaginer dans son milieu naturel.
Qui peut ici prétendre que ce n’est pas normal?
Chut… Je vous entends crier à l’anthropomorphisme… Je sais très bien que je transgresse la barrière des espèces, mais je ne parle pas de reproduction ou de descendance ici, je parle de sentiments et de liens affectifs. Qu’un gris d’Afrique soit entiché d’un cacatoès est tout aussi stérile sur le plan conception et procréation que l’affection qu’il pourrait développer envers un humain et pourtant… ce genre de lien affectif existe chez nos perroquets "domestiques"…!
À l’intention de ceux ou celles qui désireraient procurer un compagnon ou une compagne à leurs oiseaux dans le but de les rendre plus heureux, et en pensant sincèrement qu’un lien affectif se créera automatiquement entre eux, je voudrais vous faire réfléchir deux secondes à l’éventualité suivante: il y a un risque (non négligeable) que les deux perroquets décident de vous choisir vous, l’humain attentif et rassurant, comme partenaire, surtout si ces derniers ont subit une imprégnation à l’humain (EAM). Disons que les données sont de l’ordre de 50/ 50… Alors, si vous désirez un autre perroquet pour vous-même parce que vous êtes un passionné… allez-y et foncez. Si c’est pour procurer un compagnon à votre oiseau pour ne pas qu’il demeure seul pendant les longues heures que vous passez au bureau loin de lui… foncez encore (vous connaissez les risques…)! Par contre, si c’est pour procurer un partenaire sexuel à votre perroquet parce qu’on vous a dit qu’il serait plus heureux s’il pouvait fonder une famille… ralentissez et réfléchissez bien, vous pourriez être très déçu.
L’insécurité humaine
L’exclusivité est reliée à l’insécurité. Il semble naturel à nous, humains, que notre animal de compagnie nous soit entièrement dédié et que nous soyons son seul "maître". Puisque c’est nous qui l’avons "acheté" et en prenons soin, il est normal (à nos yeux) que cet animal nous "appartienne" et qu’il doive nous aimer plus que tout autre humain évoluant autour de nous. Puisque la meilleure relation possible avec son perroquet est celle de la relation affective (association préférentielle), nous exigeons que notre perroquet soit d’emblée "amoureux" de nous et ne regarde pas par-dessus la clôture. Ça, c’est peut-être vrai pour des histoires de chiens, mais sûrement pas de perroquets! On ne possède pas un perroquet, on vit avec lui. Vivre dans le sens de cohabitation respectueuse.
Combien de fois ai-je senti la déception dans la voix de Madame "qui s’était fait un cadeau" en adoptant SON perroquet, alors que ce dernier était fou "amoureux" du mari qui pourtant n’accordait même pas un regard à l’oiseau? Combien de fois ai-je aussi entendu des histoires de déception et de cœur brisé parce que l’oiseau chouchou avait mordu la pauvre dame, complètement désemparée, à cause d’un(e) invité(e) de passage à la maison, alors que le perroquet avait décidé de préférer l’invité à elle-même, "sa maîtresse"!
On ne peut pas exiger d’exclusivité affective dans un "mariage arrangé". Le fait que votre perroquet vive avec vous ne veut absolument pas dire qu’il doive vous choisir comme compagnon de vie (il n’a absolument rien choisi lui) et le fait qu’il "craque" pour une autre personne ou un étranger ne veut pas dire non plus qu’il rejette toute forme de relation avec vous. Là où vous devez vous poser la question, c’est sur la nature de la relation que votre oiseau a développée avec vous. Peut-être n’êtes-vous que le meilleur ami de votre oiseau sans pour autant prétendre à la place de "conjoint". Meilleur ami est une place très enviable aux yeux de votre oiseau…
Pour Quita, ma femelle ara ararauna de 12 ans, je suis la meilleure amie et, occasionnellement, "l’amoureuse" (lorsqu’il n’y a pas de "client" plus intéressant dans les parages). Je représente la stabilité et la sécurité propice à son épanouissement et cette relation nous suffit amplement à toutes les deux. S’il n’y a que moi de disponible, je suis un bon second choix pour une petite parade de séduction, mais combien de fois ai-je vu Quita avoir des entichements galants pour des amis de passage à la maison ou un pur étranger lors d’un spectacle ou d’une conférence (même pour un vendeur itinérant venu briser la quiétude familiale en pleine heure du repas). Dans ces moments-là, je sais laisser la place au nouveau prospect, question aussi d’éviter les mouvements d’humeur de Quita qui est tout absorbée à sa nouvelle flamme du moment.
Quita est un perroquet très sociable qui aime voir du monde et j’en suis fière. Je ne suis pas son "amoureuse" et puis après??? Nous avons une relation formidable et une complicité hors du commun. Je n’ai pas envie d’exclusivité avec Quita, surtout pas sexuelle. J’ai appris à me faire discrète lors de ces "béguins" en regardant l’étranger et en me disant tout simplement et avec philosophie, "toi mon bonhomme, tu n’es pas le premier et certes pas le dernier" puis, nous retournons ensemble à la maison ou à nos occupations, reprenons notre train-train quotidien… oubliant toutes les deux ce "bellâtre de passage". La stabilité du couple que Quita et moi formons est indéniable, mais pour Quita, notre relation ne se situe pas au niveau sexuel.
Il faut apprendre à accepter les choix d’autrui, sans ne rien prendre personnel. Ce n’est encore une fois qu’une question de respect!
© Johanne Vaillancourt 2005
Photos
Pablo et Gazou, gris d'Afrique (psittacus erithacus erithacus), CAJV
Gazou et Kaly, gris d'Afrique (psittacus erithacus erithacus), Guylaine
Turgeon
Maggie, perruche ondulée (melopsittacus undulatus), et tourterelle, Natacha
Larivière
Maestro, cacatoès blanc (cacatua alba), et Edgard, perroquet de Jardine (poicephalus gulielmi),
Jeanne Bessette
Trotteur, toui céleste (forpus coelestis), Nancy Boisvert